Ainsi, nous critiquons ces pays du Sud, qui ont été malmenés par le colonialisme, de ne pas avoir à ce jour développé des structures stables de gouvernement et de ne pas être à même d’offrir un futur satisfaisant à leur population. En résultat, ces populations bien évidement quittent le pays et s’en vont chercher fortune ailleurs, notamment en Europe.
Replongeons-nous un instant dans la Suisse de 1800 dont 220 ans nous séparent. 220 ans, ce sont à peine trois vies misent bout à bout, hier pour ainsi dire. Pour ce faire, je me suis fortement inspiré d’un texte de François Walter, « Histoire de la Suisse » in www.histoiresuisse.ch.
En ce début de 19e siècle, la Suisse n’existe pas ou alors pas vraiment. Ce n’est d’ailleurs qu’au cours de ce siècle que le mot Suisse commence d’être utilisé pour désigner les territoires et les habitants qui, sur le versant nord de la route du Gothard, se sont organisés pour assurer leur sécurité.
1813, c’est la chute de Napoléon et les armées françaises sont en débandade. Les armées étrangères traversent à plusieurs reprises le pays, en se nourrissant de ses ressources, ce qui entraîne la famine parmi la population sans que ni la Diète ni l'armée ne puisse s'interposer, si ce n'est par l'incursion durant quelques mois de 24 000 hommes dans le pays de Gex, ce qui marque le dernier engagement des troupes suisses à l'étranger.
Les Français partis, plusieurs cantons, partiellement appuyés par les puissances européennes, s'empressent de restaurer l'Ancien Régime et signent un contrat qui règle les problèmes de sécurité intérieure, rien de bien innovant et encore toujours pas d’Etat à proprement parler. Pas d’Etat donc pas d’idée d’appartenance à un pays ou d’allégeance au gouvernement de ce pays. C’est ici un des points importants. Nous partons souvent du principe que de tout temps la population d’un pays s’est sentie appartenir à ce pays et se définit à travers cette appartenance, étant ainsi Suisse, Français ou Allemand. Détrompons-nous, l’égalité entre citoyen, le sentiment d’appartenance est un concept tout récent qui date de cette période, en relation notamment avec le succès de la Révolution française, non pas en France, ou ce succès fut remis en doute jusqu’en 1848, mais aux Etats-Unis d’Amérique, un pays paradoxalement dans lequel la population indigène n’a reçu aucun droit et dans lequel le sentiment même d’appartenance est plus que douteux étant donné la provenance des habitants.
Mais reprenons. Entre 1826 et 1834, deux courants se font face en Suisse. Le premier désire le maintien des privilèges de l’Ancien Régime, le second plaide pour la mise en place des idées libérales nées de la révolution française. C’est ce second courant qui l’emporte dans la plupart des cantons ce qui aboutit à des révisions des constitutions cantonales qui incluent l’adoption du principe de souveraineté populaire et de la démocratie représentative.
Et pourtant, toujours pas trace d’autorité centrale. Il faudra attendre 1848, pour que les radicaux de l’époque parviennent à instaurer une structure fédérale forte et signent ainsi la naissance de la Suisse en tant qu’état politique. Pour la première fois, la Suisse possède un gouvernement et un parlement central auxquels les cantons ont délégué des responsabilités bien définies. La ville de Berne est choisie comme capitale.
En termes économique, la Suisse, qui n’a pas de mines de charbon, mécanise rapidement son industrie, notamment l’industrie textile, en utilisant la force des cours d’eau. La population ne comprend que 2.4 millions d’habitants en 1850 dont seulement 6.5% habitent des villes de plus de 10.000 habitants.
L’agriculture subit de fortes mutations sous l’influence des importations céréalières qui font chuter les prix. Elle se concentre sur la production de lait. La plupart des agriculteurs n’ont pas de terre en propriété et travaillent pour des grands domaines, ce qui explique la facilité avec laquelle ils joignent l’émigration.
Si mon aïeul est rentré de son périple américain, son fils qui l’a suivi quelques années plus tard s’y est établi d’abord comme fermier, puis y a acheté un domaine avant de pouvoir envoyer assez d’argent en Suisse pour que son père puisse lui aussi, enfin être propriétaire d’un petit domaine.
C’est donc ce contexte turbulent qui entoure les migrations des Suisses du milieu du 19e siècle.