1 Emigration, pourquoi?

En route vers l'Amérique, 1854

Homme marche dans souterrain

Une revue sur l’émigration d’Europe vers les Etats-Unis pourquoi ? C’est une excellente question à laquelle je vais tenter de répondre en quelques mots.
La première raison pour laquelle ce sujet m’a soudain semblé intéressant est que mon arrière, arrière-grand-père a fait le voyage vers l’Amérique, parti de son petit village perdu dans les montagnes grisonnes, en 1854 et qu’il a raconté le récit de son aventure, des années plus tard, à un instituteur de ce même village qui l’a publié dans le journal local. Ayant lu ces quelques feuillets, je me suis senti emporté dans une autre dimension, dans un monde de voyages et d’aventures, dans ces contrées étranges du bout du monde, un monde de risques et d’opportunités. 1854, c’est aussi la période de la fameuse ruée vers l’or californien, l’or qui y est sans doute pour beaucoup dans cette volonté qu’il a eue, avec beaucoup d’autres à cette époque, de partir pour le nouveau monde.
J’avais imaginé cet exploit comme l’exploit d’un petit groupe d’aventuriers partis en exploration. Bien sûr, il s’agissait de la fameuse ruée vers l’or Californien, alors je pensais bien que quelques milliers de personnes s’étaient mises en route pendant la même période.
J’ai commencé ma recherche et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir un siècle, le 19e, que je n’avais décidément pas imaginé ainsi. C’est en effet l’Europe entière qui s’est mise en route à cette époque, non seulement vers les Etats-Unis d’Amérique, mais aussi vers l’Argentine, le Brésil et l’Australie.
On parle de 60 millions de personnes. 60 millions d’âmes qui sont parties vers un monde meilleur.
« Les raisons sont à chercher dans l’accélération de la croissance démographique de l’Europe. On passe de 187 millions en 1800 à 401 millions en 1914. Les motivations du départ sont avant tout économiques. Nombreux sont ceux qui fuient la misère, la grande famine en Irlande, les salaires trop bas des régions industrielles ou le chômage lors de la Grande Dépression des années 1880. Nombreux sont également les paysans du sud et de l’est de l’Europe qui sont poussés au départ par le manque de terres à cultiver. Tous espèrent améliorer leur sort.
Les raisons sont aussi politiques ou liées à la répression. Après l’échec de la révolution de 1848 en France, d’anciens insurgés partent pour la Californie. En Russie, beaucoup de Juifs fuyant les persécutions et les pogromes sanglants de la fin du XIXe siècle émigrent, notamment vers les États-Unis, le Canada et l’Argentine. Ce mouvement est accentué par le développement de l’industrialisation et l’amélioration des moyens de transport. Les échanges internationaux se développent[1] ».
Pour s’en occuper, des bureaux de recrutement se constituent partout en Europe qui gèrent l’acheminement de ce cargo à son but. Cargo, marchandises, en effet, les bateaux chargés de coton et d’autres denrées venant d’Amérique devaient repartir à vide. Quoi de plus naturel que de remplir les cales avec des humains entassés dans des conditions hygiéniques déplorables.
Si nous sommes de nos jours bien démunis face à cette épidémie de coronavirus, il faut imaginer à l’époque en Europe, en plus des famines liées au mildiou, de grandes épidémies de choléra qui arrivent de l’Inde et déciment la population. La troisième épidémie de choléra commence vers 1832 et dure jusqu’en 1863. Plus de 1 million de personnes y succombent en Russie, En France l’épidémie tue 100.000 personnes en 1832. En 1846, un nouveau foyer se déclare en Chine et se propage à travers l’Angleterre vers la France. Puis, transportée par des émigrants irlandais, l’épidémie arrive en Amérique.
Emigration, épidémies, que de parallèles avec notre époque. Bien sûr les émigrants sont différents, mais les raisons profondes de leurs voyages restent les mêmes. Pauvreté, exclusion, recherche d’un avenir meilleur,… et les conditions dans lesquelles ils tentent l’aventure sont très semblables à celles que décrit mon aïeul. Intéressant de constater que l’on parle à cette époque d’émigrants alors que de nos jours, on parle de réfugiés[2], bien que l’on parle exactement de la même catégorie de gens. Ce ne sont en majorité pas des gens qui veulent se réfugier à proprement parler, ce sont des gens qui cherchent une vie meilleure, comme les paysans sans terre de nos montagnes l’ont fait au 19e siècle. On faisait même mieux à cette époque. On tentait de faire migrer les couches les plus pauvres, les moins instruites ou les criminels et ce de manière officielle, en payant les malheureux pour qu’ils quittent le pays. On trouve dans les archives des journaux suisses les doléances des autorités américaines aux autorités suisses et les réponses de ces dernières qui argument que criminels oui peut-être, mais que les criminels appartiennent en majorité à d’autres nationalités, statistiques à l’appui.
J’ai trouvé quelques articles dans les journaux suisses et français qui retracent les conditions de ces voyages et la perspective de l’époque sur l’émigration. C’est ainsi que L’Illustration, Journal Universel, consacre un article au sujet dans son édition de janvier 1854.
Horace Say, dans « De l’émigration européenne au dix-neuvième siècle », Journal des économistes, janvier 1855, p.9-40, expose les motivations et les conditions de ces mouvances.
Jean Braunstein, dans « En route vers l’Amérique : les émigrants allemands au Havre. In: Annales de Normandie, 41ᵉ année, n°1, 1991. pp. 29-48 » parle lui des conditions de vie au Havre et du développement de ce nouveau service, l’émigration.
Pour ce qui est de la Suisse, je me suis permis de reproduire les articles de Gérald Arlettaz, «L’intégration des émigrants suisses aux Etats-Unis 1850-1939 », dans Relations Internationales 1977, ainsi que « Emigration et colonisation suisses en Amérique 1815-1918», dans Archives Fédérales Suisses, Etudes et Sources 5, Bern 1979. J’ai également utilisé les archives de la presse suisse (Journal de Genève et https://www.e-newspaperarchives.ch
Finalement, en ce qui concerne le voyage et la vie en Amérique, j’ai repris « les lettres écrites d’Amérique par Léo Lesquereux et parues dans la Revue Suisse, Novembre et décembre 1850, un récit fascinant et plus vrai que nature.
Je me suis permis de reproduire ces articles en grande partie dans leur intégralité.
Voilà, j’espère que ces quelques articles sélectionnés parmi d’autres donnent un bon aperçu de la situation et permettent de remettre dans son contexte le voyage de mon ancêtre. Sans son retour en bonne santé, je ne serais pas là aujourd’hui.

Je vous souhaite une agréable lecture

[1] https://www.clesdusocial.com/l
[2] Un réfugié – au sens de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés – est une personne qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité ou dans lequel elle a sa résidence habituelle ; qui craint avec raison d’être persécutée du fait de son appartenance communautaire, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ; et qui ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou y retourner en raison de ladite crainte.

Editor
I am the editor of the Open-borders magazine. I have also written Dictatorship of Experts.