9 John Gilli, un émigrant suisse en Californie

John Gilli, histoire d’un émigrant suisse en Californie. Ce texte est adapté d’une série publiée dans le Journal « The Schweizer Journal » de San Francisco, Californie à partir du 29.3.1959.

Photo de famille, J. GIlli

“1854, la légende voulait que de l’or eut été trouvé en Californie, beaucoup d’or, à tel point qu’il suffisait de se pencher pour le ramasser dans la rue en quantité illimitée. Si seulement cela avait été vrai. C’est tout au moins ce que nous croyions, jeunes fous que nous étions.
Les conditions de vie dans notre vallée montagneuse du sud-est de la Suisse étaient très difficiles. Les familles étaient nombreuses et la nourriture rare. Nous étions huit enfants, sans argent, sans future. L’Italie voisine n’offrait pas non plus d’opportunité. C’est pour cette raison que de nombreux jeunes gens partirent à travers l’océan dans l’espoir de faire fortune. Un premier groupe de notre village de Schons avait déjà tenté l’expérience en 1848.
“…”
Bien décidés à faire de même, le 8 juin 1854 nous quittèrent nos famille et amis et notre région. Nous nous rassemblâmes à Ziran, tous jeunes et prêts pour le départ. Tous partagés entre l’excitation du voyage et la tristesse de nous séparer des nôtres.
Ce n’était pas facile de voyager en ce temps-là. Et pourtant nous nous retrouvâmes bientôt à Bâle. C’est là que pour la première fois nous vîmes un train.
De là, nous voyageâmes jusqu’au Havre en France. Nous ne pouvions en croire nos yeux. Dans le port, de nombreux voiliers prêts pour le départ. Nous arrivâmes vers 12 heures et ne purent embarquer que vers 22 heures. Notre bateau était énorme et portait de nom de « La Normandie ». C’était un voilier qui pouvait transporter plusieurs centaines de migrants. Les bateaux à vapeurs n’avait pas encore fait leur apparition[1].
Le point supérieur était réservé aux passagers plus aisés. Nous fûmes priés de rejoindre le pont inférieur par un escalier, un pont inférieur énorme, construit au-dessus de la cale aux marchandises et dont le plafond était si bas que nous le touchions de la tête. Il n’y avait point de fenêtres, juste des ouvertures rondes pour les remplacer. Beaucoup d’entre nous tombèrent malade pendant la traversée, période pendant lesquelles nous étions confinés sur notre pont. Vous imaginez la situation.
La première nuit, nous dormîment profondément, fatigués de notre voyage jusqu’au Havre. Lorsque nous nous réveillâmes le jour suivant, nous étions déjà en pleine mer, de l’eau à perte de vue et le ciel comme horizon. Les jours et les semaines passèrent sans que terre n’apparaisse. Nous en avions plus qu’assez du voyage.
“…”
Un beau jour, la nouvelle fit le tour du bateau qu’une épidémie avait fait son apparition à bord. L’équipage avait bien essayé de garder le secret, mais en vain. La rumeur voulait que des passagers étaient morts et que leurs corps lestés de poids avaient été jetés par-dessus bord pendant la nuit. Deux frères de notre groupe attrapèrent un eczéma et durent rendre visite au docteur. Nous ne les revîment plus jamais.
Le secret ne pouvait plus être gardé. Certains d’entre nous penchèrent pour la variole, d’autre pour le choléra ou la peste. Tous les passagers furent inspectés. Roni Grishott fut décrété atteint et dut rendre visite au médecin. Nous pensions ne plus jamais le revoir.
Et pourtant il réapparut. Nous lui demandâmes comment la visite c’était passée. Il nous raconta qu’il avait reçu une petite bouteille contenant un liquide jaunâtre et qu’il lui fallait boire sur ordre du médecin. Ne lui faisant pas confiance, il s’était retiré dans un coin et avait fait semblant de prendre le médicament tout en le versant en fait sur sa chemise. Il nous montra alors l’état de sa chemise toute brûlée. Il venait d’échapper à la mort.
“…”
Le voyage n’avait pas de fin. Les provisions et la boisson venaient peu à peu à manquer. Les portions devenaient plus petites. Entre les tempêtes et le calme plat, nous n’avancions pas. Nous aurions donné n’importe quoi pour un peu d’eau fraîche.
60 jours après le départ, nous arrivâmes à New York. Ce fut un jour de joie, mais nos soucis ne s’arrêtèrent pas là. Le bateau fut mis en quarantaine pour 10 jours à cause de la maladie à bord. Tout au moins, nous reçûmes tous les jours de la nourriture qui nous était jetée comme à des fauves du bord d’une chaloupes qui n’approchait pas à moins de 30 pieds. Les plus forts se précipitaient sur la nourriture, les autres se contentaient des restes.
“…”
Finalement nous pûmes désembarquer. Nous restâmes quelques jours à New York, profitant des splendeurs de la ville, qui pourtant ne comptait pas encore de gratte-ciels, avant de partir pour la suite de notre voyage vers la Californie.
De nos jours, le train relie les deux régions à travers les Etats-Unis. A cette époque, il fallait soit se joindre à une caravane d’émigrants qui tentaient la traversée avec chariots et chevaux, une traversée longue et périlleuse à travers le continent américain, soit reprendre la mer pour Panama[2]. Nous décidâmes de reprendre la mer. Le voyage fut plus facile, mais prit tout de même 20 jours. Nous arrivâmes à Panama et durent ensuite traverser l’Isthme de Panama à pied, à travers une jungle épaisse et dans une chaleur humide insupportable pendant la saison des pluies[3]. Arrivés sur l’autre côte, nous embarquâmes pour rejoindre San Francisco mi-octobre. Un long voyage.
Nous étions enfin arrivés au pays de l’or. Malheureusement, nous perdîmes une bonne partie de nos illusions rapidement. La belle époque était terminée. Plus d’or à trouver le long des rues et pourtant nous en aurions eu bien besoin pour renflouer nos finances. Les prix étaient très élevés et il était difficile de trouver du travail, surtout sans parler la langue. De plus, la rue était dangereuse, les revolvers étaient dégainés pour moins que rien.
Nous apprîmes que des mines existaient dans la montagne lointaine et décidâmes de repartir, espérant toujours faire fortune. Ce fut le début d’un autre voyage long et pénible pendant lequel nous souffrîmes de la soif et de la faim.
Finalement, nous arrivâmes. Certains d’entre nous rejoignirent des partenariats, d’autres se mirent à leur compte. L’or était difficile à trouver et les chanceux qui en trouvaient courraient le risque de se voir attaquer, démunis et tués.
Nous nous séparâmes et partîmes creuser pour trouver de l’or. Je n’eus pas de succès et décidai de partir encore plus loin dans les montagnes. Je rejoignis un tunnel duquel des rochers contenant de l’or étaient extraits. J’essayai d’expliquer que je cherchais du travail, mais sans succès. Finalement j’eu la bonne idée et commençai simplement de travailler avec eux aussi bien que je le pouvais. Le chef de brigade semblait approuver et me laissa continuer. La compagnie était sympathique et le travail me plût. Petit à petit je me mis à améliorer mes connaissances d’anglais. Dès le premier jour, je pus m’assoir à table avec les autres et partager le repas. Je n’avais plus été rassasié depuis longtemps. 3 ou 4 semaines plus tard, je reçus ma première paie, 1.5 $ par jour, beaucoup plus d’argent que je n’avais vu depuis longtemps.
“…”
C’était dimanche et le chef de brigade essayait de me dire que je devais prendre quelques jours de vacances, partir pour la ville proche et avoir du bon temps. Je ne compris pas et crus qu’il m’avait congédié. Déçu, je partis pour trouver un autre travail. J’en trouvai eu quelques jours plus tard dans une autre mine où je restai quelques semaines. Même si je n’aimais pas l’ambiance, le salaire était acceptable.
J’appris bien plus tard que le chef de brigade, ne me voyant pas revenir, était parti à ma recherche en ville, bien sûr sans me trouver. A ma place, il engagea Simon Mani d’Anderr, un autre de nos camarades, qui fit carrière et fortune dans cette même mine.
“…”
Ma troisième place de travail fut avec un patron italien. Je gagnais 7 $ par jour ou plus
”…”
Je devins un bon expert dans le travail de la mine et fus engagé comme chef d’équipe. Je gagnais bien, mais risquais ma vie. En effet, de temps en temps, il s’agissait de former un convoi pour transporter l’or trouvé de la mine à la ville, un trajet à cheval de 3 ou 4 jours. Nous devions traverser des contrées inhabitées à travers des collines boisées dans lesquelles des Indiens et des bandits étaient cachés. Nous partions en caravane composée de 8 à 10 hommes lourdement armés. La plupart du temps, nous pouvions effrayer les bandits par notre puissance de feu.
Pourtant, nous fûmes un jour attaqués par un groupe décidé de voleurs de grand chemin alors que nous traversions une vallée profonde en plein jour. Bien que certains de mes compagnons furent des experts en tir, nous eûmes des blessés et un tué. Nous tuâmes 5 de nos assaillants et en capturèrent plusieurs. Nous enterrâmes nos camarades tombés dans une tombe commune surmontée d’une croix et emmenâmes les prisonniers à la ville.
“…”
Parfois je sentais le mal du pays et ce sentiment se renforça. Je décidai de rentrer. Mon employeur qui m’appréciait n’en fut pas heureux. Les Suisses étaient connus pour leur force de travail et leur probité.
Le voyage du retour fut plus aisé.


Ce texte est adapté d’une série publiée dans le Journal « The Schweizer Journal » de San Francisco, Californie à partir du 29 mars 1959.

[1] En fait le premier bateau à vapeur faisait déjà la liaison avec le nouveau monde, mais ils ne l’ont sans doute pas aperçu.
[2] Le canal de Panama n’existait bien sûr pas encore.
[3] Environ 18 jours de marche dans la forêt

Editor
I am the editor of the Open-borders magazine. I have also written Dictatorship of Experts.