Comme l’homme de la photo, il avait un bon regard qui inspirait confiance, des yeux pétillants de malice et de curiosité. Sa tenue était celle d’un voyageur au long cours, il portait en bandoulière la sabretache bourrée de cartes de géographie. Homme passionné, pédagogue né, il veillait sur ses étudiants avec bienveillance mais avait des exigences. Il inspirait le respect. Ses cours étaient passionnants. Chaque année, il organisait un voyage d’étude pour les étudiants de sa faculté.
C’est ainsi qu’un beau matin de fin septembre 1963, plusieurs jeunes gens et jeunes filles portant de lourds sacs à dos se dirigeaient vers l’esplanade de l’Université de Berne. Un car jaune des PTT était garé devant l’austère bâtiment où Monsieur G., notre professeur, nous attendait en compagnie du chauffeur du car. Aux environs de sept heures, les bagages ayant été installés dans la soute et les étudiants ayant pris leurs places dans le car, le véhicule s’ébranla faisant allègrement retentir son célèbre klaxon des Alpes . Le beau voyage pouvait débuter. Le but du voyage était les Açores où durant six semaines nous allions parcourir plusieurs îles et étudier différents thèmes de géographie. Après avoir traversé la France et l’Espagne nous sommes arrivés à Lisbonne où nous avons quitté notre car pour embarquer à bord d’une caravelle de la TAP . Baptême de l’air pour certains étudiants, le voyage fut un peu mouvementé.
En fin de journée, nous avons atterri aux Açores sur l’île de Santa-Maria, île sur laquelle se trouvait un aéroport international où jusque dans les années 60, les avions faisaient escale lors des voyages reliant l’Europe à l’Amérique. Nous avons installé les tentes dans le sable au bord de l’océan et nous nous sommes endormis bercés par le bruit que faisaient les vagues sur la plage. Les 24 étudiants furent répartis sur plusieurs îles avec pour chaque groupe des problèmes spécifiques à étudier ; cependant que notre professeur voyageait d’une île à l’autre pour contrôler notre installation et le travail effectué, car nous n’étions pas en villégiature ; chacun d’entre nous avait un thème à étudier et un travail à rédiger.Sur certaines de ces îles la population était très pauvre, les conditions de vie difficiles.
Sur l’île de Santa Maria l’auberge où nous logions n’avait ni eau courante, ni électricité. Le portugais n’était pas simple à comprendre et les conditions de vie étaient parfois difficiles mais notre Professeur et ses assistants, infatigables voyageurs et bons organisateurs, veillaient au bon fonctionnement et au succès de cette merveilleuse aventure. Durant la quatrième semaine nous avons eu la chance de faire le tour de plusieurs îles à bord d’un cargo vétuste qui en plus des marchandises transportait les soldats portugais qui allaient se battre en Angola. Les femmes de ces derniers toutes vêtues de noir prenaient douloureusement congé de leurs maris dans les ports des îles où nous faisions escale. Ces îles ont toutes un caractère bien particulier. Sâo Miguel où l’on découvre l’impressionnant cratère de Sete Cidades avec sa lagune bleue et sa lagune verte, est appelée l’île verte. Terceira dont la capitale, Angra do Heroismo fut au siècle d’or l’un des principaux centres commerciaux entre l’Empire portugais et l’Empire espagnol. Pico est la deuxième île la plus vaste des Açores avec son majestueux volcan qui lui a donné son nom.
Le retour en Suisse nous permit de retrouver notre car postal à Lisbonne et de rentrer par le chemin des écoliers. Descente jusqu’au cap Sagres, puis nous longeons le sud de l’Espagne jusqu’à la frontière française. De là nous remontons vers le nord et rejoignons Saragosse avant de retourner en France. Aujourd’hui encore je garde un souvenir lumineux des paysages si variés de cette région, les Açores, dont je ne connaissais que la haute pression dont parlait la météo. Finalement nous sommes arrivés à Berne six semaines plus tard ivres d’air et de lumière, enrichis par tous ces fabuleux paysages découverts. En regardant une dernière fois mon voyageur et son appareil de photo je me demande quels pays il a parcourus et dans quelles villes il a fait escale. Avec lui, j’ai envie de reprendre les paroles du poète : Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage